On rencontre nos premières difficultés, la première d'entre elles est de trouver à manger. Ici pas de supermarchés, seulement de vagues marchés minuscules, très peu fournis et aux horaires mystérieuses. Mis à part les produits de l'île (bananes ananas sucre oignons carottes riz poisson) il n'y a souvent rien à acheter. Certains magasins refusent de nous vendre leurs produits parce qu'il faut des tickets de rationnement. Même dans les supérettes de produits importés que l'on trouve dans les grandes villes il n'y a presque pas de choix et les rayons sont assez vides. Ils semble que les restos et la population aient aussi du mal à s'approvisionner en produits qui viennent de l'extérieur, et d'ailleurs les cubains élèvent tous des poules et des cochons dans leurs jardins pour varier leurs menus.


Comment s'organise la distribution alimentaire dans ce pays communiste? Le boucher, le boulanger sont ils fonctionnaires? Pas impossible, quand on sait par exemple que l'achat et la vente de biens immobiliers, jusque-là interdits, viennent d'être autorisés. Plusieurs fois des vendeurs ont préféré nous offrir nos achats que de nous rendre la monnaie sur une coupure trop grosse, comme si ils étaient désintéressés du résultat de leur boutique. Quoi qu'il en soit, en attendant de comprendre les rouages de la distribution alimentaire nous faisons des stocks en quittant des grandes villes pour ne pas manquer. On constate aussi une nouvelle fois que le voyage à vélo permet de mieux comprendre le mode de vie des locaux, car ces problèmes ne se posent pas dans les lieux touristiques et les grandes villes.


L'autre difficulté est le logement. L'état a récemment autorisé la location de chambres chez l'habitant sous certaines conditions, mais on n'en trouve pas partout, et le camping ou l'hébergement gratuit sont interdits. Comment faire lorsque la fin d'étape tombe dans un village sans chambres d'hôtes?

Notre solution: tomber sur votre ange gardien de la journée qui accepte de braver l'interdiction. En l'occurrence on passe une soirée mémorable avec cette famille qui nous héberge sous son toit en tôle, dans une pauvreté immense mais un cœur pas moins grand. Ils se sentent honorés de nous recevoir, on est gênés de tant de générosité et je ne sais pas si ils réalisent à quel point ils nous sauvent. La soirée se passe au milieu des rires et restera longtemps dans nos mémoires!


Une autre fois, des cubains acceptent que nous plantions la tente chez eux mais nous réveillent à 6h du matin pour nous demander de partir, de peur que la police ne les prennent la main dans le sac... Ce pays ne cesse de nous surprendre, comme encore ce cuisinier qui nous décrit les difficultés de la vie à Cuba et ses rêves d'évasion vers la Floride tout en jetant des regards derrière lui pour être sûr de ne pas être écouté.


Nous n'avons jamais dormi aussi souvent dans des chambres d'hôtes et paradoxalement nous dormons assez mal ici, en partie à cause de la chaleur humide. Les nuits sont bruyantes, quand ce n'est pas la musique ou les voisins qui parlent fort, ce sont les coqs qui chantent toute la nuit (et même en ville!). Oh la belle illusion du coq qui se réveille avec le soleil! C'est décidé à notre retour en France nous mangerons un coq au vin en représailles à ces empêcheurs de dormir!! :-)


Ce pays nous laisse une impression partagée entre la joie de vivre des cubains avec leurs sourires chaleureux, leurs maisons toujours grandes ouvertes et cette façon de vivre dehors sur le pas de leur porte, ouverts sur les autres, et la musique partout qui sort de leurs fenêtres où l'on aperçoit souvent des gens danser. Et ce même peuple souffre de difficultés d'approvisionnement, d'un internet distribué au compte goutte et censuré, de la surveillance d'état (avec un système de délation organisé), du parti unique et de sa police politique. Face à l'embargo les cubains sont devenus les rois de la débrouille, il faut voir à quel point tout se bricole et se récupère, même les objets les plus insignifiants connaissent plusieurs vies au fur et à mesure qu'ils sont réutilisés. Avec cette dualité omniprésente Cuba ne laisse pas indifférent.


On pensait avant d'y venir que l'île était très touristique, ce n'est pas faux en soi mais nous avons découvert que le tourisme se concentre dans certains lieux très précis: Varadero, Trinidad, La Havane, Vinales, etc. Pour le reste, quand on s'enfonce dans les campagnes, le tourisme est pour le moins inexistant et la présence d'un étranger éveille la curiosité. Pour le cycliste-voyageur quel contraste d'atteindre une belle ville coloniale après plusieurs jours de campagne! Les visages et langues parlées dans la rue ne sont plus les mêmes, les cubains bienveillants qui nous aident à nous orienter dans l'arrière pays se transforment d'un coup en redoutables rabatteurs, les charrettes débordantes de canne à sucre deviennent de belles calèches-taxi... Nos coups de pédale nous transportent d'un monde à un autre mieux qu'un vol transatlantique!


Déjà la famille repart et la fin du voyage approche, on file vers l'Ouest faire une dernière boucle.